Je découvre enfin cet auteur tant aimé de certains … !
« Ils étaient des Gitans français qui n’avaient pas quitté le sol de ce pays depuis quatre cents ans. Mais ils ne possédaient pas les papiers qui d’ordinaire disent que l’on existe : un carnet de voyage signalait leur vie nomade. » C’est dans cette famille tzigane qu’Esther, une bibliothécaire, arrive sans qu’on ne lui ait rien demandé. Son projet est tout simple : lire des histoires aux enfants qui n’avaient jamais vu de livre, à qui on n’avait jamais lu de livres. Esther entre donc petit à petit dans cette grande famille gitane, elle lit des contes et des fables dans sa vieille Renault entourée d’enfants, elle apprend à connaître la vieille Angéline, la matriarche de la famille mais aussi les fils d’Angéline : Lulu, Antonio, Angelo, Simon et Moustique. Elle discute souvent avec leurs épouses, Misia, Héléna, Milena ou encore Nadia. La vie des Gitans continue, Esther n’offre aux enfants qu’une petite pause hebdomadaire de culture et de voyage statique. Les hommes volent, les enfants ramassent des bouts de ferraille, les femmes cuisinent et s’occupent de leurs enfants… « au milieu des rats et des tessons de bouteille ».
Celle qui restera toujours la « gadjé » obtient doucettement la confiance des Gitans, à tel point qu’elle réussira à les convaincre d’inscrire l’une des fillettes, Anita, à l’école. Entre drames et histoires d’amour, Esther apparaît comme un pilier solide, fidèle et pourtant discret. Elle ne tente pas de changer les personnes qu’elle rencontre, mais elle les fait parler, elle essaye de les connaître, de les comprendre. Ses interventions revêtent vite une dimension magique, les enfants sont fascinés par les livres, n’ont aucune difficulté de compréhension et se régalent à chaque lecture.
J’ai lu ce livre peu après l’attentat de Charlie Hebdo et cette ode à la tolérance a été encore plus tapageuse, plus marquante. Car que fait Esther ? Elle respecte les autres, des êtres qui sont différents, elle essaye d’améliorer le quotidien et d’apporter une culture, une ouverture sur le monde à ceux qui n’en ont pas. Et si différents, les Gitans ne le sont pas non plus. Derrière les visages barbouillés, derrière leur violence quasi quotidienne, se cache un puits de sensibilité, une intelligence fine et non exploitée. Un roman contre les préjugés, un roman empli d’humanité, une leçon de vie à lire !
« Elle pensait que les livres sont nécessaires comme le gîte et le couvert »
« L’étrangeté des mots captivait les adultes autant que les petits. »
« Jamais il ne réclamaient, jamais ils n’avaient soif ou faim comme d’autres enfants qui ont sans arrêt besoin de quelque chose. Elle lisait dans ce calme. On entendait juste le ronflement d’air chaud. »
Les paroles de la vieille Angéline, quelques heures avant de mourir : « C’est bien vrai que la vie est pleine de nuages. Et nous sommes à l’intérieur des nuages. Et parfois c’est si noir que le noir vient en nous. Mais à quoi ça peut-il bien servir de se gâcher le temps ? […] Profite. […] C’est de la douleur d’aimer, ça c’est bien sûr, mais c’est tout pire de ne pas aimer. […] On est fait pour ça. […] Ne te garde pas. Ce qu’on garde pour soi meurt, ce qu’on donne prend racine et se développe. »